L'histoire de la course de l'ours
En cet automne 1997, la commune de Ploëzal, près de Pontrieux, vibre d’une étrange énigme : un ours, ou plutôt un ourson, a été aperçu par plusieurs personnes mais échappe à toutes les recherches. On le décrit
brun tirant sur le noir, d’une soixantaine de centimètres au garrot.
Les témoins sont dignes de foi, des agriculteurs, une mère de famille, un chauffeur routier venu de l’est de la France… Tous ont aperçu l’animal dans un périmètre de 4 km2 qui va du bourg à la Roche-Jagu jusqu’à la limite de Pleudaniel.
« L’homme qui a vu l’homme »
C’est une famille qui l’a signalé pour la première fois, à la fin du mois d’août, en quittant son lieu de vacances.
Tu as un ours dans ton champ,
affirment les vacanciers à Roger, un Ploëzalais.
Pour France 3, il devient
l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.
Le 20-heures de TF1 prendra le relais, Ploëzal devient célèbre pour son mystérieux plantigrade.
C’est d’ailleurs par la presse que le maire de l’époque, Lucien François, apprend la présence de l’animal.
Sur le coup, j’ai trouvé ça très sympathique et je me suis dit que j’avais hâte qu’on l’attrape pour le montrer aux enfants des écoles, j’imaginais la scène avec plaisir.
Mais très rapidement, il va recevoir un coup de téléphone qui va le faire changer d’avis sur la question.
Patrouilles
Sur la commune, les recherches s’intensifient. La rumeur court, ce serait un homme qui se déguise. Un petit cirque est passé dans les environs, n’aurait-il pas abandonné ou perdu un animal ? La gendarmerie prend l’affaire très au sérieux.
Pour une question de sécurité publique, elle ne doit pas exclure la piste la plus dangereuse, voire la plus improbable. Les bois alentour sont très fréquentés par les promeneurs et autres ramasseurs de champignons.
Des patrouilles circulent plusieurs fois par jour.
Empreintes
Des traces de griffes sont relevées sur une bâche agricole et surtout, des empreintes sont décrites par un lieutenant de louveterie comme
appartenant à un animal qui pourrait être un ours.
Le zoo de Pont-Scorff évoque un
animal peu commun.
Par contre, aucune déjection caractéristique n’est retrouvée.
Une première battue à blanc est organisée, en vain.
Hélicoptère
Quelques jours plus tard, l’ours est aperçu par deux personnes. La bête se dirige vers un bosquet au milieu d’un champ. Une battue est alors rapidement montée avec l’aide de la fédération départementale de la chasse. Quarante bénévoles se déploient sur la zone.
Un hélicoptère de la gendarmerie venu de Rennes est assisté au sol par presque toutes les brigades de la compagnie de Guingamp. L’animal est cerné. 400 mètres de filet ont été déployés et la cage est prête (elle est normalement destinée au transport des cochons). Las, l’animal leur file encore entre les pattes.
« Je lui ai pris du maquereau, moins cher que le saumon »
Le maire commence à trouver l’affaire longuette.
Quand le capitaine de gendarmerie m’a annoncé qu’ils allaient faire venir un hélicoptère, j’ai aussitôt demandé : mais ce n’est quand même pas la commune qui va payer ?
Le militaire lui a répondu :
Tranquillisez-vous Monsieur le maire, c’est moi.
Des cages avec des appâts sont disposées dans la campagne : miel et poisson au menu.
L’ancien élu se souvient :
On m’a demandé de fournir 5 kg de poisson. Quelqu’un m’a suggéré d’acheter du saumon, j’ai préféré le maquereau qui est meilleur marché.
Lucien François en rit encore.
Coup de fil
A l’époque, il est déjà plus que sceptique. Car un mois après les premières apparitions de l’ours, il a reçu un coup de téléphone d’un ami proche, aujourd’hui décédé.
C’est mon chien, l’ours.
Ou plutôt sa chienne.
L’homme en est persuadé, c’est sa chienne, de race Khortals, qu’il a perdue en l’entraînant à la chasse, qui défraye la chronique. Cette chienne est très peureuse et son maître en est certain, il y a méprise.
Si, de profil, il n’a rien d’un ours, de dos, le khortals peut présenter une allure pataude assez caractéristique.
Mais le propriétaire du chien ne veut absolument pas rendre l’affaire publique.
A l’époque, seuls cinq khortals vivent dans les Côtes d’Armor, il en possède trois.
« Voilà l’ours »
Le témoignage d’un Ploëzalais va renforcer cette hypothèse. Un beau jour d’octobre, Benoît circule non loin du lieu-dit Le Fot, au volant de sa Super 5. Il aperçoit l’ours dans un champ à une centaine de mètres. Il s’arrête pour observer l’animal qui s’éloigne, lorsque ce dernier tourne la tête vers lui. C’est un chien.
Benoît en parle à son père alors président de la chasse.
Quelque temps plus tard, Noël, chasseur lui aussi, rentre du travail. Entre Ploëzal et Pleudaniel, il aperçoit un chien mort, de race atypique, sur le bas-côté. Il le charge sur son camion.
Le soir même, le président des chasseurs tire ses conclusions devant la dépouille :
Voilà l’ours.
Cliché volé
Pour Lucien François, aujourd’hui le doute n’est plus permis, l’ours était ce chien.
Après sa découverte d’ailleurs, plus personne ne l’a aperçu. Ploëzal est entré dans l’hiver. Le maïs a été ensilé, les arbres ont perdu leurs feuilles mais la bête brune qui errait dans les champs n’est plus réapparue.
Lucien François n’a jamais pu convaincre le propriétaire de parler de son chien :
Nous avons voulu mettre une photo dans le bulletin municipal mais il a refusé, il adorait ses chiens, le seul cliché que j’ai de l’un d’eux, je l’ai fait en cachette.
Petit à petit, l’ours de Ploëzal a quitté la chronique.
Et c’était très bien pour tout le monde.
Voilà, très probablement, les clés de l’énigme : un ours auquel tout le monde voulait croire et un homme qui aimait trop ses chiens.
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